L'émancipation des peuples dépendants et l'émergence du Tiers-Monde /
La décolonisation en Afrique : 1954-1975
Introduction
* Les décolonisations africaines (1954-1975) constituent la deuxième vague de décolonisation après celles menées en Asie (1945-1956).
* En 1945, quatre pays sont indépendants : l'Égypte, l'Éthiopie, l'Afrique du Sud et le Liberia. En 1975, le continent africain est presque entièrement décolonisé.
* Problématique : L'émancipation politique correspond-elle à une indépendance totale ?
I. Les causes
A/ L'anti-colonialisme (cours sur les décolonisations asiatiques)
B/ Les conséquences de la guerre (cours sur les décolonisations asiatiques)
C/ Le rôle des leaders
* En France :
- Afrique Noire : Senghor (Sénégal), Houphouët (Côte d'Ivoire).
- Afrique du Nord : Bourguiba (Tunisie), Mohammed V (Maroc).
* Au Royaume-Uni :
- N'Krumah (Nigeria), Kenyatta (Kenya).
* Les mouvements indépendantistes d'avant-guerre se développent après 1945.
D/ L'exemple asiatique
* Les décolonisations asiatiques (1945-1956) servent d'exemple.
* L'exemple asiatique se manifeste également à travers la défaite française en Indochine (indépendance du Cambodge, du Laos et du Vietnam après la défaite française de Diên Biên Phu et les accords de Genève en 1954) et la conférence de Bandung (Indonésie, avril 1955).
II. Les décolonisations pacifiques
* Trois pays sont concernés par ces décolonisations pacifiques : la France, le Royaume-Uni et la Belgique. Si cette décolonisation se fait par la voie de la négociation, c'est qu'il y a des risques de guerres ou de révoltes (mêmes sporadiques). C'est donc une négociation sous l'effet de la peur et non une négociation offerte aux colonisés.
A/ Le cas français
* Le cas français est révélateur d'un paradoxe entre la guerre d'Algérie (guerre d'indépendance) et les négociations menées dans les autres pays colonisés (décolonisations pacifiques).
1. En Afrique du Nord
* Le Maroc et la Tunisie sont deux protectorats français.
* Au Maroc, l'Istiqlâl (créé en 1943) est soutenu par le sultan Ben Youssef. En 1952, l'insurrection de Casablanca est réprimée ; en 1953, le sultan est exilé. Le pays se révolte : la France est contrainte par l'ONU et les États-Unis de rappeler le sultan (1955) et d'accorder l'indépendance, en 1956.
* En Tunisie, le Néo-Destour (créé en 1934) de Bourguiba réclame d'abord l'autonomie. L'arrestation puis l'exil de Bourguiba en 1952 amplifient la résistance. Le 31 juillet 1954, la situation se dénoue : Mendès France promet dans son discours de Carthage l'autonomie. Bourguiba est libéré en juin 1955, et de nouvelles négociations accordent l'indépendance en 1956.
2. En Afrique de l'Ouest et de l'Est
* L'Afrique noire française connaît une décolonisation pacifique (si l'on excepte la révolte malgache de 1947 : 100.000 morts).
* Cette décolonisation est facilitée par la loi-cadre Deferre qui accorde une autonomie interne complète (suffrage universel, collège électoral unique, pouvoirs exécutifs locaux). La IVème République initie les élites africaines à la gestion politique (Senghor, Houphouët-Boigny).
* En 1958, De Gaulle propose un projet de "Communauté" qui prévoit l'accès progressif à l'indépendance ; 11 colonies d'Afrique noire et Madagascar l'acceptent, seule la Guinée de Sékou Touré choisit l'indépendance en 1958. Dans le cadre de cette "Communauté française", les colonies d'Afrique noire sont "indépendantes" à 80% : la France reste compétente dans le domaine de la défense, de la diplomatie, de la monnaie et du commerce extérieur.
* En 1960, tous les pays d'Afrique noire deviennent indépendants. La "Communauté française" devient une "coquille vide". Mais cette indépendance politique totale a pour corollaire une coopération étroite avec la France :
- Sur le plan militaire.
- Sur le plan économique : présence économique française.
- Sur le plan culturel : coopération culturelle et technique avec la France (en matière d'éducation notamment).
* Du côté africain, Senghor et Houphouët-Boigny ont su montrer que l'indépendance pouvait être accordée sans qu'il n'y ait de guerre. Du côté français, influence et lucidité de De Gaulle.
B/ Le cas du Royaume-Uni
* L'Afrique anglophone rencontre des difficultés.
* Certaines colonies obtiennent l'autonomie dès 1945. Le Ghana de N'Krumah accède à l'indépendance en 1957 et joue un rôle important dans le panafricanisme (conférences d'Accra en 1958).
* Indépendant en 1960, le Nigeria écrase la sécession du Biafra (1967-1970).
* La Rhodésie du Sud, dominée par les colons blancs, se déclare indépendante en 1965 en établissant un Apartheid ; ce régime n'est aboli qu'en 1976, le pays devenant le Zimbabwe.
* Durant toute cette période, les anglais font des concessions tout en préparant l'avenir :
- Préparation des futures élites dirigeantes (expérience du pouvoir).
- Maintien des liens avec la métropole.
C/ Le cas belge
* 1959, trois colonies belges en Afrique : le Congo belge (Zaïre), le Burundi et le Rwanda. Les belges prennent la décision de décoloniser pacifiquement.
* En juillet 1960, l'indépendance du Congo belge débouche sur une véritable guerre civile.
La Belgique soutient la sécession du Katanga (région riche en uranium et en cuivre).
Le premier ministre Lumumba en appelle à l'ONU et à l'URSS, mais il est assassiné en 1961.
La France et les États-Unis installent le colonel Mobutu au pouvoir : la sécession du Katanga est écrasée en 1967. Le colonel Mobutu s'autoproclame général puis président de la République et maréchal à vie. Cette guerre civile est symptomatique : on ne fait pas un pays avec des rivalités ethniques, surtout quand il y a des enjeux politiques et économiques. Le Congo a, aussi, été l'enjeu de la rivalité entre les deux "grands" : URSS et États-Unis. Au final, le pays sera sous l'empire d'une dictature sanglante. On a potentiellement l'un des pays les plus riches d'Afrique et paradoxalement l'un des plus pauvres (à cause de la dictature).
* La décolonisation belge a été ratée car les belges n'ont pas pris le temps de former les élites dirigeantes.
III. Les guerres d'indépendance
A/ Généralités
1. Deux pays sont concernés
* La France avec l'Algérie.
* Le Portugal avec l'Angola et le Mozambique.
2. Des conceptions (à peu près) identiques
* La France et le Portugal considèrent ces territoires comme faisant partie intégrante du pays. "La France va de Dunkerque à Tombouctou".
* Les colonies participent à la grandeur et à la prospérité de ces pays.
B/ La guerre d'Algérie (1954-1962)
1. Les causes spécifiques
- Inégalité flagrante entre les musulmans et les "autres français" sur le plan économique, politique et culturel. Le vote d'un musulman ne vaut que la moitié d'un vote d'un français.
- Conservatisme de la classe politique (droite et gauche confondues).
2. Les étapes
* Opérations de maintien de l'ordre contre les terroristes du FLN.
* 1956-1958 : intensification de la guerre qui amène à la chute de la IVème République.
* 1958-1960 : victoires de l'armée française sur le terrain mais début des négociations.
* 1961-1962 : négociations d'Évian et indépendance de l'Algérie le 1er juillet 1962.
* En Algérie, les mouvements indépendantistes se radicalisent pendant la guerre : le MTLD de Messali Hadj déclenche les émeutes de Sétif (8 mai 1945). Le FLN (Front de libération nationale), fondé en 1954, choisit le terrorisme. La guerre commence véritablement avec les émeutes du Constantinois (1955) et l'envoi du contingent : le conflit va durer huit ans.
* Les excès militaires français déclenchent l'hostilité de l'opinion en France et dans le reste du monde. Devant l'isolement de la France, le général De Gaulle reconnaît aux algériens le droit à l'autodétermination puis négocie avec le FLN malgré la pression de l'OAS (Organisation armée secrète) et le putsch des généraux (avril 1961).
* La guerre s'achève sur les accords d'Évian. Le 1er juillet 1962, l'Algérie accède à l'indépendance.
3. Le résultat
* Drame humain : 24.000 soldats français tués, trois fois plus de mutilés, 500.000 musulmans tués, exode des pieds-noirs.
* Drame politique : rupture consommée entre Paris et Alger avec une incompréhension totale entre les deux camps.
* Drame économique : la guerre a coûté cher.
* Drame social : le racisme en France vise essentiellement les algériens.
C/ Les colonies portugaises (1961-1975)
* L'Angola et le Mozambique ne deviennent indépendants du Portugal qu'en 1974 et 1975.
IV. L'Afrique vers 1975
A/ Un patchwork politique
* L'Afrique est "découpée" en une cinquantaine d'États : phénomène de "balkanisation".
* En 1963 est créée l'OUA : l'Organisation de l'unité africaine. Les ambitions de cette organisation sont triples :
- Aboutir à une entente politique.
- Promouvoir une coopération économique et culturelle (marché commun de l'Afrique).
- Lutter contre le colonialisme et le racisme (Apartheid en Afrique du Sud).
B/ Un continent faible
* En 1960, René Dumont écrit : "L'Afrique est mal partie". Il décrit ainsi tous les maux dont l'Afrique souffre.
1. Le problème des frontières
* Les frontières entre les États sont totalement arbitraires et créent des conflits.
* Les frontières africaines sont d'origine coloniale. Le "partage colonial" a été effectué à Berlin en 1895, mais on n'a pas tenu compte de la répartition des ethnies, d'où les conflits.
2. Les problèmes internes
* Le Nigeria est révélateur de ces problèmes internes. La minorité ethnique du Biafra est une minorité de confession catholique, alors que le reste du Nigeria est de confession musulmane. Le Biafra est aussi une région riche en pétrole. Guerre civile atroce entre les nigérians, soutenus par l'URSS, et les biafrais, abandonnés par les occidentaux. Deux ans de guerre civile et martyre de la population biafraise.
3. Les problèmes économiques
* L'émancipation africaine est limitée par le sous-développement.
* Plusieurs facteurs sont à l'origine de ce sous-développement :
- L'augmentation de la population africaine ne s'accompagne pas d'une hausse des ressources.
- Les cours mondiaux des matières premières, des sources d'énergie et des produits alimentaires sont orientés à la baisse, d'où une diminution des recettes d'exportation.
- L'Afrique souffre d'un manque de capitaux, de cadres compétents et d'administrateurs intègres.
C/ Un continent dominé
* Influence des anciennes métropoles (néo-colonialisme).
* Présence militaire extérieure et interventions (défensives).
* Présence technique, financière et culturelle (au travers de l'enseignement).
* Quatre pays sont sous influence soviétique : l'Angola, le Mozambique, l'Éthiopie et Madagascar, quatre pays touchés par une crise économique sans précédent.
* L'influence américaine se manifeste au Maroc et en Égypte notamment.
Conclusion
* L'indépendance politique est aujourd'hui complète. Mais l'indépendance politique ne signifie pas indépendance totale, notamment sur le plan économique et financier (néo-colonialisme).
* L'Organisation de l'unité africaine est trop faible aujourd'hui pour pouvoir s'opposer aux ingérences extérieures : l'Afrique reste dépendante et son émancipation est limitée par le sous-développement.